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Le chamois et l'aigle royal

Acte 1 : Probablement durant la semaine, un chamois effectue une chute mortelle dans les barres sous la dent d'Aurouze.

Acte 2 : Vendredi 21 novembre 2003, Fred, repère la carcasse du chamois que se disputent 3 aigles royaux, et quelques grands corbeaux. Les chocards à bec jaune voudrait bien participer au festin, mais ils ne font pas le poids face à leurs adversaires.

Acte 3 : Samedi 22 novembre 2003, nous retournons sur place. A 7h30, nous sommes au départ du sentier mais la pluie commence à tomber. Le plafond est si bas que le pierrier dans lequel se trouve le cadavre est dans la brume. Nous partons faire un petit tour en attendant de voir l'évolution du temps. Dans la forêt voisine, cela nous permet d'observer furtivement un cerf, près d'un abreuvoir à chevaux en lisière d'un mélézin. Finalement, vers 10h30, le temps à l'air de s'améliorer : il ne pleut plus, et le plafond nuageux remonte, et les nuages commencent à s'effilocher, entourant d'une écharpe ouatée les sommets environnants. L'atmosphère devient de plus en plus lumineuse. Si ça continue, le soleil va même réussir à percer ! Matériel sur le dos, nous prenons rapidement le sentier en direction de la carcasse. Après 40 minutes d'une marche rapide, nous avons rejoint le poste d'observation prévu. La carcasse n'est plus tout à fait à la même place que la veille.


2 aigles planent dans le ciel, et un grand corbeau s'affaire sur la carcasse qui se présente arrière train vers le bas de la pente, posée sur le flanc gauche, pattes perpendiculaires à la pente. L'exploitation de la viande a débutée au plus facile : l'arrière train a été ouvert et un trou de plusieurs centimètres de diamètres a été fait. Les grands corbeaux y entrent la tête et en ressortent avec des morceaux de la taille de leur bec. Encore quelques prélèvements de nourriture et les voilà repartis.

Dans les pierriers voisins, chamois et mouflons sont occupés à se nourrir.

Peu avant midi, en contre-bas dans le ravin, j'aperçois un groupe de mammifères : des cervidés. Un beau cerf, un huit cors à la crinière flamboyante, 2 biches et 3 jeunes. Ils sortent d'un petit bois de hêtres et empruntent en file indienne une sente dans un pierrier qui rejoint la grande forêt. Biches et jeunes ouvrent la marche. Régulièrement, tous s'arrêtent et hument l'air. Avec toute cette humidité ambiante, ils ne doivent pas sentir grand-chose ! Le mâle semble donner un petit coup de tête à celui qui le précède, et c'est reparti. La troupe s'arrête une nouvelle fois. Une biche à la tête chevaline regarde en arrière. Dans la longue vue, je distingue les veines saillantes sur son museau. La lumière est vraiment belle. Nouvel arrêt, plus long cette fois ci. Ils quittent la draille pour descendre jusqu'à la base du cône de déjection, amorçant au trot la descente pour regagner une zone de pré bois au sol couvert de feuilles sèches de hêtres. Les teintes marron des feuilles s'harmonisent à merveille avec le marron des pelages. Bel exemple d'homochromie.

13h00 : il est malheureusement l'heure pour nous de repartir. Cette observation, pendant près de dix minutes de ces cervidés à découvert et en plein jour est vraiment inespéré en cette saison. Dans les gros blocs au dessus du sentier, trois chamois s'enfuient ou se poursuivent à une centaine de mètres de nous, remontant avec agilité de belles barres rocheuses. Ils sautent d'une dalle rocheuse à l'autre avec une telle dextérité que l'on se demande bien comment de temps à autre un accident arrive, et ces splendides équilibristes dévissent de leur falaise.

Acte 4 : La météo étant finalement plus clémente que prévue, nous retournons dimanche 23 novembre 2003, après-midi surveiller la carcasse. Vers 15h00, nous voilà en place sur notre promontoire pour deux belles heures d'observation. Les petites plaques de neige qui nous servaient de repères ont fondues depuis hier midi. Nos retrouvons tout de même l'objet tant convoité ; mais pas à la même place que la veille. Elle se trouve plus de cinquante mètres en contrebas. Hier, à la limite basse entre 2 touffes d'herbes ; aujourd'hui largement plus basse. Pour le moment, il ne se passe rien par là-bas. Par contre, autour de nous, des mésanges huppées bruyantes s'activent dans les mélèzes. Parfois, ce sont des mésanges boréales qui les accompagnent. En général, ces dernières ne se cantonne pas dans les branches mais descendent au sol au pied des mélèzes et sondent de leur petit bec fin les maigres touffes d'herbes jaunies par le gel. Une compagnie de mésanges à longue queue traverse d'arbres en arbres l'espace entre le bosquet de mélèzes et le petite hêtraie en contre bas. Bien que physiquement différentes, ces trois espèces ont un point en commun : elles ne tiennent pas en place. A peine aperçues, et les voilà déjà reparties. Quelle énergie !

Dans les aplombs au dessus du sentier, un chamois, un mâle au pelage sombre et fournit, est couché sur une dalle rocheuse. Il semble surveiller son territoire. Et même s'il nous fixe, nous ne semblons pas le déranger. Par deux fois, il va se dresser, tourner lentement la tête à gauche, puis à droite, puis se recoucher. Il doit bien sentir que nos intentions à son égard ne son pas négatives. Il se lève à nouveau et vient frotter ses glandes retro-cornales contre les genévriers situés devant lui. C'est là une attitude typique des mâles au moment du rut. Agissant ainsi, il délimite son territoire et indique aux femelles du secteur qu'il est en rut. Sa crinière dressé est également un signe qui ne trompe pas.

Plus haut en altitude, dans les immenses éboulis au pied des crêtes, troupeaux de mouflons et de chamois se partagent l'espace. Plus haut encore, une chèvre suivie de son jeune longe le pied de la falaise. Les troupeaux mixtes (mâles et femelles) de mouflons semblent indiquer que le rut pour cette espèce n'est pas encore complètement terminé. En dehors de cette période, mâles et femelles vivent séparés. Les mâles sombres arborent une magnifique selle blanche au milieu des flancs ; tandis que les femelles ont une robe bien plus claire. A force de chercher, on finit par trouver un aigle royal perché sur la crête, à près de 2500 mètres d'altitude. Il semble surveiller son territoire. D'ailleurs, il a souvent la tête tournée en direction de la carcasse. Le vent souffle et lui retrousse les plumes de couverture. Pas un bruit humain. Ni avion ni pétarade de moteurs. Le temps semble s'être arrêté. Le vent froid nous tire à notre contemplation… Même le passage de deux aigles royaux dans le ciel ne distrait le premier. Il reste imperturbable perché sous le vent sur son éperon rocheux sur la crête. Quelques croassement de grands corbeaux nos ramènent à notre objectif. Un grand corbeau est à présent sur la carcasse. Aujourd'hui, c'est de derrière la patte avant droite que sont extirpés les lambeaux de chair. A chaque coup de bec la peau reliant la patte au ventre se tend. L'oiseau est inquiet. Sitôt une bouchée arrachée, il relève la tête et scrute attentivement le ciel. Visiblement ce n'est pas le maître du lieu. Un bond, et le voilà posé sur une patte du chamois, continuant d'arracher de petits morceaux de viandes. Rapidement il est rejoint par un congénère. Un monte la garde tandis que l'autre se nourrit. Un vol de chocards à bec jaune vient se poser à quelques dizaines de mètres dans l'éboulis. L'envol d'un grand corbeau partant survoler le groupe provoque l'envol généralisé. Le second s'envole à son tour avec de grands cris.

Enfin le moment tant attendu ! Un aigle vient de se poser dix mètres au dessus de la carcasse. Il est près de 16h00. D'où est-il arrivé ? Nous n'avons pas vu sa silhouette dans le ciel. Il reste ainsi immobile au moins cinq minutes. Soudain, il écarte les ailes, et bondit en avant. Il s'est rapproché. Encore un bond, puis un dernier, et le voilà au pied du chamois. C'est un oiseau de premier hiver. Sa queue est bien blanche, avec une bande terminale noire. Sous ses ailes, deux magnifiques cocardes blanches. Il est d'aspect sombre, et sa tête fauve clair ressort bien. Il commence à attaquer le dos du chamois. Les poils sont arrachés par touffes. Quelle puissance. Dix minutes de travail acharné, avec de nombreux coups de bec et de poils arrachés et il décolle, sans raison apparente. Il ouvre ses ailes, un petit coup de reins, un petit saut et le voilà porté par le vent. Rapidement, sans un battement d'aile il prend de l'altitude, jouant avec les courants le long de la paroi.

L'autre aigle, posé en crête décolle à son tour et nous les perdons de vue tous deux. Jusque vers 16h30, un puis deux grands corbeaux reviennent sur la carcasse, attaquant toujours sous la patte avant droite, ne profitant même pas du travail de l'aigle effectué sur le dos de la proie.

Vers 16h30, le même aigle revient se poser sur la carcasse. Tout d'abord un peu au dessus, puis d'un seul bond, il se retrouve au pied, puis dessus. Le vent souffle de plus en plus. Les touffes de poils volent dans le vent. Parfois l'effort d'arrachage est si violent que l'aigle, déséquilibré doit s'appuyer sur sa queue et entre ouvrir ses ailes pour garder l'équilibre. Quelques touffes arrachées, et enfin, il commence à se ravitailler. Les morceaux de chairs arrachés sont nettement plus gros que ceux prélevés par les grands corbeaux. A chaque coup de bec, lorsque les poils se détachent de la peau, la queue fait office de balancier. Finalement, il en a assez de la viande du dos, et attaque lui aussi la patte. Jusqu'à présent, masqué en partie par le chamois, il se retrouve maintenant devant sa proie ; si bien que l'on peut admirer ses longues pattes emplumées Sa silhouette massive donne une impression de puissance. Les touffes de poils, arrachées, virevoltent toujours dans le vent. L'aigle se perche sur la apte, y enfonce ses serres et essaie de décoller. Impossible bien sûr, trop de poids. Déséquilibré, il lâche prise et se trouve alors projeté en avant et atterrit devant le chamois. Et plutôt que de remonter à pattes, il préfère ouvrir les ailes, effectuer un petit saut en l'air pour se mettre dans le vent et se laisser porter jusqu'à hauteur du chamois, évitant ainsi tout effort inutile. La totale maîtrise du vent. Aussitôt il se remet à l'ouvrage. A nouveau de puissants coups de becs, et nouvel essai pour décoller avec la patte, mais échec à nouveau. Il donne l'impression de vouloir détacher la patte afin de l'emporter, comme s'il voulait terminer cette tâche avant la nuit.

C'est sûr que la nuit précédente à due être animée autour de la carcasse, étant donné e déplacement qu'elle a effectuée. D'ailleurs, peut-être que demain elle aura disparue, boulottée par une harde de sangliers.

Il est plus de 17h00, la luminosité est tombée, et la pénombre commence a envahir la montagne. Le vent souffle parmi les feuilles de hêtres. C'est encore plus grandiose qu'en journée. Engourdis par le froid, nous plions en hâte nos affaires. Un dernier coup d'œil aux jumelles. L'aigle s'active toujours sur de sa patte de chamois. Une demi heure plus tard, la voiture sera rejointe à la nuit noire. Ces quelques heures passées à affûter devant cette carcasse de chamois resteront gravées longtemps dans nos mémoires.

Olivier Tourillon - Devoluy 22 et 23 novembre 2003