Un jeune mâle de quatre-cinq ans convoite une femelle. Il la suit à distance, remontant doucement le vallon herbeux. Il passe devant moi, et gagent le bord de la barre rocheuse. Ils se détachent sur le ciel, et suivent la ligne de crête. La femelle arrive sur un replat composé de rochers et de bois morts d'un vieux genévrier. Elle effectue quelques tours sur elle même, comme le fond aussi les chats pour pour choisir la meilleure position pour se coucher. Elle profite du soleil. Le mâle se tient à distante, quelques pas en arrière, tirant la langue d'excitation ou pour mieux capter les odeurs de la femelle ?
Une fois installée « confortablement », il s'enhardit et reprend son approche. Soudain une grosse corne, puis une seconde apparaissent derrière la ligne de crête à peine une dizaine de mètres au dessus de la femelle. Sous ces cornes, une tête massive : museau pointé en avant, petite barbiche et beau poil dru. Sa dense fourrure ondule sous les lents mouvement de tête. La scène semble au ralenti. Son long poil sombre, laisse transparaître sa chaude et claire bourre laineuse. C'est une magnifique bête.
Il reste ainsi quelques minutes, caché en partie par le relief du terrain à humer l'air et jauger la situation. Le jeune mâle recule légèrement.
Plus haut, un autre vieux mâle descend la pente pour rejoindre le groupe. Les deux gros mâles semblent de taille équivalente. Ils doivent peser au moins 250 kilos chacun.
Devant cette concurrence, inéquitable, après un dernier regard à la femelle, le petit mâle juge préférable d'opérer un repli stratégique. Pendant ce temps, un troisième mâles d'âge et de taille intermédiaire, joue les téméraires et s'approche de la femelle jusqu'à la renifler. Celle-ci reste impassible, regardant au loin, feignant l'indifférence. Le premier vieux mâle se décide enfin à sortir de derrière la crête. Avec son épaisse toison, il semble tout droit arriver de la dernière aire glacière.
Las de tout ce remue ménage autour d'elle, la femelle s'est levée. Un cinquième mâle encore plus excité descend rapidement la pente à la rencontre de la femelle qui feint toujours l'indifférence.
Malgré l'excitation de tous ces mâles, la femelle reste de marbre, si bien que tour à tour chacun des mâles quittent l'arène. Il passent alors à cinq mètre de moi. Ils sont imposant et majestueux. A leur passage, mes narines perçoivent de fortes effluves de musc …
Maintenant que tous les gros challengeurs sont partis, le premier mâle qui avait quitté le premier les lieux revient à nouveau tenter sa chance. Il est à nouveau tout contre la femelle, lui sent l'arrière train, la langue tirée. Mais la femelle n'accepte toujours pas et se retourne sèchement, donnant un coup de tête au mâle, qui renonce à nouveau.
Je continue l'ascension. Deux mâles se reposent dans une combe, une femelle se gratte le dos à l'aide de ses cornes.
Une dernière rupture de pente et je rejoints un autre petit groupe, couché sur un promontoire rocheux. Une femelle et un cabri me regardent passer à quelques mètres d'eux sans broncher.
Changement de versant, et surprise, je me retrouve sous un vent glacial. Le sol est complètement givré.
Le sentier grimpe parallèle à la crêtes, quelques mètres en dessous. Et tout au long de la crête, des bouquetins, des femelles et des cabris pour la plus part.
Un cabri se lève pour se gratter vigoureusement et se recouche ensuite.
Dans la pente givrée, deux mâles convoitent la même femelle. Et c'est toujours le même rituel. Ils s'approchent chacun leur tour, queue relevée, cou tendu, tête parallèle au sol, cornes rabattues en arrière, … Et devant l'indifférence de la femelle repartent l'un derrière l'autre.
Une jeune femelle observe la scène, peut-être soulagée de me pas s'être fait embêtée cette fois-ci.
Je fais tellement attention aux bouquetins que je remarque à peine ces petites traces de pattes d'oiseaux dans la neige qui traversent le sentier.
Du coin de l'œil, je discerne un mouvement dans le pierrier. Un lagopède alpin, un mâle reconnaissable à ses caroncules rouges au dessus de l'œil, s'éloigne du sentier le plus discrètement possible, à pattes.
Il est si près de moi ! Ses pattes grandement emplumées, même dessous, les font ressembler à de grandes raquettes à neige. Ainsi chaussé, il n'a pas froid aux pattes, et possède une meilleure portance.
Sa blancheur immaculée le rend parfaitement mimétique dans cet univers de pierres enneigées.
Seule l'extrémité des plumes de la queue est noir, ainsi que le tour de l'œil. Une fine bande noire partant des yeux rejoint le bec.
En contre-bas, deux grands mâles entament un combat. Le maître des lieux est assurément l'un des deux protagonistes. Un troisième s'approche mais ne semble pas vouloir participer. Il se contente d'être spectateur. Le lagopède profite de ces instants de distraction pour s'éloigner et prendre un peu de hauteur.
Sous le vent, du givre en drapeau s'est formé sur tous les supports : rochers et herbes sèches.
Les deux mâles se sont éloignés et le combat fait rage. Le choc des cornes résonne malgré le vent qui souffle assez fort.
Sur le chemin du retour, je croise les mêmes groupes qu'à la montée presque au même endroit. En cette saison, ils n'effectuent pas de gros déplacements quotidiens.
Olivier Tourillon, quelque part en montagne (France), le 28 novembre 2009