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Le Rut du bouquetin

Samedi 28 novembre 2009

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5h00 : le réveil sonne. Aujourd'hui est un grand jour. Voilà 4 ans que j'attends ce jour : une belle journée de fin novembre, sans neige en altitude.
A 7h30, me voilà au pied du sentier. 1h30 plus tard, les 800 m. de dénivelé avalés, je suis sur le plateau, non sans avoir pris le temps d'effectuer quelques photos des hêtres croisés dans la première partie de la montée. Le torrent qui descend du plateau est partiellement gelé. Il n'a pas dû faire chaud ses derniers jours ! Sur le plateau, le givre recouvre les touffes d'herbe jaunie, et les rares pins rabougris sont givrés sous le vent dominent. Le paysage semble figé. Aucun bruit, tout est calme, et finalement les températures pas très froides. Me voilà affairés à photographier un des grands pins se trouvant en bordure du plateau. Une troupe de petits passereaux passent en vol, en rasant le versant. Au cris, je reconnais des tarins des Aulnes. Un petit rapace, un faucon (crécerelle ou émerillon ?) aux ailes pointues les poursuit. Voilà donc pourquoi ils semblaient aussi pressés. Pas de chance pour lui, il a raté ses proies. Il abandonne sa poursuite, l'effet de surprise ayant échoué, et va se percher sur la cime dégarnie d'un jeune pin.
Un cri semblable à ceux des chamois retenti, juste derrière l'arbre que je photographie. En reculant de quelques pas, pour agrandir mon champ de vision, j'aperçois un magnifique bouquetin mâle, aux cornes impressionnantes. Il m'a senti avant que je ne le vois. Il me fixe, sans doute étonné de rencontrer un bipède en cette saison sur son territoire.
Tout de suite, je remarque sa courte queue relevée. C'est bon signe : Le rut a débuté. Je le suis sur quelques centaines de mètres, nous allons dans la même direction. Dans les combes, il reste quelques plaques de neige, vestige des chutes du début du mois. Il semble jouer avec moi, me laissant approcher, comme s'il m'attendait, et dès qu'il me juge trop près, il pousse un petit chuintement et s'éloigne par petits bonds. Dès que possible, je m'écarte et emprunte un autre chemin afin de ne pas trop le perturber. Maintenant, je suis largement sous lui.
Ayant pris un peu d'avance, je m'arrête pour scruter les alpages à la recherche d'autres animaux. Je découvre un petit groupe de bouquetins en direction du sommet. Je les sais paisible en cette saison, une approche ne devrait pas les perturber. J'avale rapidement la centaine de mètres de dénivelé qui me sépare d'eux. Je les observe au bord du sentier. Ce petit groupe de 5 individus est composé de 3 femelles accompagnées de 2 cabris. Tous paissent au pied d'une petite barre rocheuse, orientée au sud, bien à l'abri du vent. Un peu au dessus, dans la coulée, j'aperçois d'autres bouquetins, invisibles depuis le bas où je me trouvais il y a à peine quelques minutes.
Certains sont couchés sur l'herbe et ruminent , tandis que d'autres broutent activement. Deux cabris de l'année sont couchés l'un contre l'autre au pied des rochers. Qu'ils sont mignons ! Un jeune mâle, un peu plus gros qu'un cabri, couché au beau milieu d'un couloir herbeux, semble surveiller tout ce petit monde. Un autre petit mâle aux courtes cornes, la queue relevée, s'approche d'une jeune femelle qui semble fortement l'intéresser. Il s'en approche, le cou tendu en avant, la tête droite, dans le prolongement du cou, cornes parallèles au dos, et la queue relevée. Une fois tout près d'elle, il commence à lui sentir l'arrière train. Mais il doit être un peu trop près. D'un petit coup de tête, elle lui montre son mécontentement. Il doit avoir à peine trois ou quatre ans d'après la taille des cornes.

Stratégie face à la concurrence:

Un jeune mâle de quatre-cinq ans convoite une femelle. Il la suit à distance, remontant doucement le vallon herbeux. Il passe devant moi, et gagent le bord de la barre rocheuse. Ils se détachent sur le ciel, et suivent la ligne de crête. La femelle arrive sur un replat composé de rochers et de bois morts d'un vieux genévrier. Elle effectue quelques tours sur elle même, comme le fond aussi les chats pour pour choisir la meilleure position pour se coucher. Elle profite du soleil. Le mâle se tient à distante, quelques pas en arrière, tirant la langue d'excitation ou pour mieux capter les odeurs de la femelle ? Une fois installée « confortablement », il s'enhardit et reprend son approche. Soudain une grosse corne, puis une seconde apparaissent derrière la ligne de crête à peine une dizaine de mètres au dessus de la femelle. Sous ces cornes, une tête massive : museau pointé en avant, petite barbiche et beau poil dru. Sa dense fourrure ondule sous les lents mouvement de tête. La scène semble au ralenti. Son long poil sombre, laisse transparaître sa chaude et claire bourre laineuse. C'est une magnifique bête. Il reste ainsi quelques minutes, caché en partie par le relief du terrain à humer l'air et jauger la situation. Le jeune mâle recule légèrement.
Plus haut, un autre vieux mâle descend la pente pour rejoindre le groupe. Les deux gros mâles semblent de taille équivalente. Ils doivent peser au moins 250 kilos chacun. Devant cette concurrence, inéquitable, après un dernier regard à la femelle, le petit mâle juge préférable d'opérer un repli stratégique. Pendant ce temps, un troisième mâles d'âge et de taille intermédiaire, joue les téméraires et s'approche de la femelle jusqu'à la renifler. Celle-ci reste impassible, regardant au loin, feignant l'indifférence. Le premier vieux mâle se décide enfin à sortir de derrière la crête. Avec son épaisse toison, il semble tout droit arriver de la dernière aire glacière. Las de tout ce remue ménage autour d'elle, la femelle s'est levée. Un cinquième mâle encore plus excité descend rapidement la pente à la rencontre de la femelle qui feint toujours l'indifférence. Malgré l'excitation de tous ces mâles, la femelle reste de marbre, si bien que tour à tour chacun des mâles quittent l'arène. Il passent alors à cinq mètre de moi. Ils sont imposant et majestueux. A leur passage, mes narines perçoivent de fortes effluves de musc …
Maintenant que tous les gros challengeurs sont partis, le premier mâle qui avait quitté le premier les lieux revient à nouveau tenter sa chance. Il est à nouveau tout contre la femelle, lui sent l'arrière train, la langue tirée. Mais la femelle n'accepte toujours pas et se retourne sèchement, donnant un coup de tête au mâle, qui renonce à nouveau.
Je continue l'ascension. Deux mâles se reposent dans une combe, une femelle se gratte le dos à l'aide de ses cornes. Une dernière rupture de pente et je rejoints un autre petit groupe, couché sur un promontoire rocheux. Une femelle et un cabri me regardent passer à quelques mètres d'eux sans broncher.
Changement de versant, et surprise, je me retrouve sous un vent glacial. Le sol est complètement givré. Le sentier grimpe parallèle à la crêtes, quelques mètres en dessous. Et tout au long de la crête, des bouquetins, des femelles et des cabris pour la plus part. Un cabri se lève pour se gratter vigoureusement et se recouche ensuite.
Dans la pente givrée, deux mâles convoitent la même femelle. Et c'est toujours le même rituel. Ils s'approchent chacun leur tour, queue relevée, cou tendu, tête parallèle au sol, cornes rabattues en arrière, … Et devant l'indifférence de la femelle repartent l'un derrière l'autre. Une jeune femelle observe la scène, peut-être soulagée de me pas s'être fait embêtée cette fois-ci. Je fais tellement attention aux bouquetins que je remarque à peine ces petites traces de pattes d'oiseaux dans la neige qui traversent le sentier.
Du coin de l'œil, je discerne un mouvement dans le pierrier. Un lagopède alpin, un mâle reconnaissable à ses caroncules rouges au dessus de l'œil, s'éloigne du sentier le plus discrètement possible, à pattes. Il est si près de moi ! Ses pattes grandement emplumées, même dessous, les font ressembler à de grandes raquettes à neige. Ainsi chaussé, il n'a pas froid aux pattes, et possède une meilleure portance. Sa blancheur immaculée le rend parfaitement mimétique dans cet univers de pierres enneigées. Seule l'extrémité des plumes de la queue est noir, ainsi que le tour de l'œil. Une fine bande noire partant des yeux rejoint le bec.
En contre-bas, deux grands mâles entament un combat. Le maître des lieux est assurément l'un des deux protagonistes. Un troisième s'approche mais ne semble pas vouloir participer. Il se contente d'être spectateur. Le lagopède profite de ces instants de distraction pour s'éloigner et prendre un peu de hauteur. Sous le vent, du givre en drapeau s'est formé sur tous les supports : rochers et herbes sèches. Les deux mâles se sont éloignés et le combat fait rage. Le choc des cornes résonne malgré le vent qui souffle assez fort.
Sur le chemin du retour, je croise les mêmes groupes qu'à la montée presque au même endroit. En cette saison, ils n'effectuent pas de gros déplacements quotidiens.

Olivier Tourillon, quelque part en montagne (France), le 28 novembre 2009