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Tranche de vie chez une famille de bouquetins

 

20 décembre 2003 - Vallée de Champoléon (Hautes-Alpes)

De retour ce samedi dans cette splendide vallée de Champoléon dans le Champsaur. Vers 8h00, me voilà au parking. La lune n'est plus qu'un mince croissant. Le ciel est bien dégadé, et la luminosité grandissante. Une mésange charbonnière m'accueille au parking. Aujourd'hui, je pars découvrir un autre vallon, que j'espère aussi riche que le précédent. Le sentier s'élève rapidement dans un mélézin. J'aime bien les mélézins en hiver. Le sous-bois est lumineux, et les aiguilles orangées recouvrent le sol. Comme sur une moquette, les pas y sont amortis. Tout est silencieux. Même le torrent, gelé, est calme. Le temps semble arrêté. Tout est figé, comme glacé. Le décor est encore plongé dans l'ombre des montagnes du versant opposé. Aucun oiseau chante. Mais ce calme n'a qu'un temps. Le soleil monte dans le ciel, et la clarté grignotte rapidement la pénombre. Le soleil et moi, nous nous rejoignons un peu plus haut. Et là, brusquement, tout semble retrouver vie, s'animer. Un vol de bec-croisés s'abat sur un groupe de mélèzes, le torrent sort de sa torpeur et recommence à couler. Même les pierriers et les alpages s'animent : les chamois eux aussi commencent à se déplacer. Visiblement en passant sur le sentier, j'en dérange un qui me le fait savoir par un sifflement de mécontentement. Désolé ! Je m'accorde quelques minutes au soleil pour l'observer grimper entre les mélèzes. Il rejoint l'alpe en limite supérieure du mélézin

Les falaises que je souhaitais prospecter son enfin en vue. Je m'installe confortablement au bord du sentier, et commence à jumeller en rive droite du torrent. Au pied des falaises somitales, les chamois sont nombreux. La mojorité s'alimente, mais quelques femelles sont couchées, et semblent surveiller leur projéniture. 3 cabris gambadent, courrent, saute, se poursuivent sur la neige. De brusques arrêts font voler des gerbes de neige. Deux se font face, tandis qu'un troisième regarde la scène, et ils engagent un simulacre de combat. Ils se chargent, tête contre tête. Mais bien vite ils stoppent toute agressivité, et repartent tous trois courrir et sauter dans la neige.

Sur ce versant, il ne semble pas y voir de bouquetins.

Pivotement de 90°. C'est au tour du versant en rive gauche du torrent d'être minutieusement exploré. Sur un épaulement rocheux engazonné, je vois tout d'abord une femelle, un vieille femelle, car elle est marquée (boucle rouge à l'oreille droite, boucle verte à l'oreille gauche, et collier émetteur jaune, relachée en mai 1995), accompagnée d'un jeune mâle, de 3 cabris et d'un jeune mâle.
Après quelques minutes d'observation, apparait un nouvel ibex : il s'agit de Vanoise, bouquetin mâles aux boucles d'oreilles vertes. Il est encore muni d'un collier, mais en a perdu l'emetteur (durant l'hiver 2000/2001).
Il est né en 1991. Il est rapidement suivi d'un second grand mâle, sans aucune boucle. Probablement un des premiers né sur le site. Tous les deux sont en rut, leur queue rabattue sur l'échine, découvrant leur fessier blanc. Le second grand mâle prend une attitude typique du rut, en tendant le cou en avant, et retroussant la lèvre inférieure. Il fait des avance à une des femelles. Cela semble déplaire à la femelle marquée, qui du coup délaisse le génévrier nain dans lequel elle s'était plongée, et descend sur la terrasse inférieure, suivie par un cabri, puis un second et enfin le jeune mâle. Tout quatre disparaissent à la faveur d'un relief du terrain. Les deux mâles s'éloignent l'un de l'autre et prennent un position dominante, et s'allonge sur leur "perchoir" respectif.

Je suis tellement absorbé par l'observation de ces bouquetins, que c'est à peine si je remarque, planer très haut, au dessus du pic des Chourcières vertes, deux aigles royaux.
Le torrent forme de petites cascades gelées sur les bords. Pendant que j'admire ces cascades, j'aperçois un cincle remonter en volant le cours d'eau. Dans les génévriers nains au dessus du sentier, un troglodyte chante un court instant, puis replonge à l'abri des aiguilles des rameaux. Il en ressort un peu plus loin, se perche sur un rocher quelques secondes, et s'enfuit à tire d'ailes vers le bosquet suivant.
Je plie la longue-vue et continue mon chemin. Le sentier attaque maintenant la partie la plus raide de l'itinéraire. Il est bien tracé, et effectue de courtes épingles à travers le pierrier. L'orientation est quelque peu différente, et par conséquent, par endroit, les pierres sont recouverte d'une épaisse couche de neige durcie. Attention, risque de glissade. Mieux vaut avancer prudemment.

A la sortie du goulet, juste avant d'arriver sur le plateau, j'aperçois de l'autre côté du torrent, sur un rocher dominant ce dernier, deux bouquetins. Il s'agit de la femelle marquée de tout à l'heure, accompagnée d'un des cabris, qui après m'avoir observé quelques secondes reprennent leur chemin, remontant sur l'autre versant. Il n'y a pas longtemps à patienter, que voilà les retardataires qui pointent le bout de leur museau : un second cabri, et le jeune mâle. Ils s'arrêtent tout deux au même endroit que leurs prédécesseurs, avant de poursuivre leur trajet. Rapidement je rejoins le bord du plateau et je m'installe. Les 4 bouquetins sont là, devant moi, à flanc de montagne, en file indienne, suivant une étroite sente zigzagant entre dalles glissantes et gros blocs rocheux. Le jeune mâle, queue relevée en position "rut", ferme la marche, ce qui lui permet de "sentir" l'arrière train des précédentes.

Les voilà sortis de leur micro versant ombragé. Ils sont en léger contre-jour sur cette crête. Le soleil semble être apprécié par tous, et plus particulièrement par un des cabri qui en ferme les yeux de bien-être. Je mets à profit ces quelques minutes de pause "bain de soleil" pour détailler le pelage de ces demoiselles. Les pattes sont magnifiques, elles sont bicolores : sombre devant et crème derrière. Les contours lumineux des silhouettes grâce au contre-jour sont également du meilleur effet.


Après s'être bien imprégnés de soleil et de lumière, ils reviennent à l'ombre de mon côté. Tandis que la femelle continue à se nourrir, les jeunes en profitent pour jouer un peu. Mais avant de jouer, desaltérons nous ! Herbe sèche et aiguille de genévrier donnent soif.
Ensuite, les deux cabris vont se livrer à des simulations de combats, comme ils ont dû voir faire les grands mâles voilà quelques semaines. C'est par ces jeux que se developpent les attitudes qu'ils devront adopter en tant qu'adultes. Dans un premier temps, les cabris se jaugent, tendant le cou en avant, avançant leur tête, cornes en avant.

Les cabris se dressent sur leurs pattes arrières, s'arqueboutent, se projettent en avant, tête contre tête. Leurs petites cornes s'entremêlent. Les chocs ne sont pas encore bien violents. Il restent ainsi tête contre tête quelques secondes. L'un cédant devant l'autre, il recule. Mais ce n'est que temporaire, car ils reviennent bien vite à la charge. Cela sous l'oeil complice et malicieux du jeune mâle. Regardez son attitude. Il semble sourir.
Après analyse du combat, le mâle vient prodiguer quelques conseils à l'oreille du perdant, tout en le consolant d'un tendre bisou. Mais laissons là l'anthropomorphisme. Ce petit interlude ludique terminé, chacun retourne vaquer à ses occupations, dont la primordiale d'entre elle : chercher sa nourriture et manger.

Les bonnes choses ont une fin, et tous quatre repartent, sur l'autre versant, s'effaçant ainsi de ma vue. Ce postérieur sera-t-il ma dernière vision du somptueux spectacle auquel je viens d'assister ? Non ...
Le jeune mâle, toujours aussi espiègle et facétieux, sort sa tête au dessus de la crête. et vient me tirer la langue. Une langue gris-bleue et rose à la fois.

Voila retracé en quelques mots et photos, 3/4 d'heure de la vie d'une famille de bouquetins de la colonie du Champsaur, par une belle journée d'hiver 2003. Mais la journée n'en était pas finie pour autant. Alors que je continuais à surveiller le secteur, un tichodrome passe de son vol ondulant à quelques mètres de moi en direction des gros blocs rocheux au pied de l'éboulis. Rapidement je me lève, pour essayer de bien l'observer. J'escalade les blocs couverts de lichens vert et jaune, pour me rendre près du rocher derrière lequel je l'ai vu disparaître. Mais rien. Il doit être trop bas, masqué par d'autres blocs. Après quelques minutes d'attente, je le vois papillonner vers un autre. Il se perche en son sommet. Juste le temps de se laisser admirer. Son bec me parait immense, disproportionné, et fin comme une aiguille. Une arme redoutable pour traquer les insectes cachés au fond de leur fissure.
Visiblement, le site ne semble pas propice à la cueillette d'insectes, car après l'inspection minutieuse de quelques blocs, il s'envole assez loin, rejoindre la dalle suintante, exposée sud, d'un épaulement rocheux.


Comme quoi, il reste encore des tichodromes en plein hiver à plus de 2000 mètres d'altitude. Tous n'ont pas regagné la plaine.

La descente s'effectuera tranquillement, avec l'observation de nombreux chamois. Certains individus plus tranquilles que d'autres. Qu'ils soient éloignés ou proches du sentier, séparés de moi seulement de quelques touffes de rhododendrons et genévriers nains, ou alors d'une coulée d'avalanche, bien garnie, tous me regardent passer se demandant quel extra-terrestre ose pénéter leur montagne en cette fin d'après-midi hivernale.