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Rencontre automnale
Samedi 9 octobre 2004

 

 

7h15, le parking est désert au départ du sentier. Une seule voiture est présente. Le jour se lève à peine. La lune n'est qu'un simple croissant. La température est très douce pour la saison ; pourtant l'automne est déjà là. Malgré la faible luminosité ambiante, les feuillus, des érables principalement ont revêtu leur robes dorées pour certains ou orangées pour d'autres. Si bien que certains bosquets semblent être en feu dans la pénombre. Nous attaquons la montée d'un pas soutenu. Il nous tarde d'arriver sur le plateau pour y chercher, découvrir et observer les bouquetins.

Rapidement le mélézin est atteint, puis dépassé. Quelques chants de pouillots véloces et de mésanges noires s'offrent à nos oreilles attentives. Le vert des aiguilles de certains mélèzes commence à tourner et à virer vers le jaune. Un jaune lumineux, couleur qui nous confirme que l'automne est bien établi et que bientôt l'hiver sera là. Dans cette première partie de la montée, contrairement à l'hiver, les chamois ne sont pas présents. Il faut reconnaître que la nourriture est encore bien présente là-haut dans les alpages d'altitude. Après une heure de montée, nous nous accordons une petite pause d'observation pour scruter les versants. Une bonne excuse pour souffler un peu !

Les plans de myrtilles forment des taches rouges ou orangées qui contrastent avec les massifs foncés formés par les genévriers nains aux aiguilles persistantes. Le soleil parvient à peine au fond du vallon. Les chamois sont très hauts. Certains semblent avoir mué et ont acquis leur pelage hivernal sombre et dru, tandis que d'autres restent clairs. Au loin une troupe de chamois se repaît dans les myrtilles. Plus haut encore, une tache sombre au milieu d'un grand parterre de myrtilles au feuillage orangé : encore un chamois en pleine forme. Le tableau est somptueux.
Au fond du vallon, sous un mélèze doré, le premier bouquetin est découvert : il s'agit une femelle en train de se nourrir. A peine quelques mètres au dessus d'elle, un autre. Cette fois, c'est un jeune de l'année aux cornes naissantes. Ils parcourent le versant, avançant lentement. Leur progression est marquée par de nombreuses pauses " repas " régulières. Après une dizaine de minutes d'observations, ils disparaissent derrière un relief du terrain.

Nous reprenons notre chemin afin de gagner le plateau au dessus du vallon. Le torrent qui coule en contrebas du chemin est bien maigre en comparaison du débit printanier… .Voilà, le plateau est atteint. Tout est calme, pas un bruit. C'est le silence total. Même le bruit du torrent plus bas ne parvient plus à nos oreilles.

Nous semblons être hors du temps. Pourtant nous ne sommes pas seuls. Un groupe de bouquetins perchés sur de gros blocs semblaient nous attendre et nous dévisage attentivement. Une femelle et son jeune d'un côté, et sur le rocher voisin, un autre couple femelle/jeune. Ils sont debout sur ces blocs tels des guetteurs. Notre arrivée a due les déranger alors qu'ils devaient être en train de ruminer paisiblement couchés sur ces rochers. Quelques dizaines de mètres plus loin, encore une autre femelle et son jeune, qui eux sont occupés à brouter quelques graminées disséminées dans l'éboulis, indifférents à notre présence. Rapidement, ils doivent nous juger inoffensifs, et reprennent leur activité de recherche de nourriture. Près dune heure s'écoule, l'observation de ces petites familles est un moment magique. Ces animaux vivent à un rythme paisible, semblant profiter de l'instant présent. Nous autres humains ferions bien d'en prendre de la graine de temps en temps. Ils arpentent tranquillement l'éboulis à la recherche des meilleures touffes de végétation à grignoter. Chacun des jeunes suit fidèlement sa mère.
Nous scrutons également les crêtes qui nous entourent et finissons par découvrir 3 grands mâles. Ils sont encore très haut en altitude. Ce n'est pas aujourd'hui que l'on ira leur tirer le portrait !
Le soleil est encore loin d'éclairer convenablement ce pan de montagne. Nous reprenons le sentier et décidons de poursuivre jusqu'au col. Les chamois du plateau semblent très craintifs en cette saison, et ils s'enfuient alors que portant nous sommes encore à plusieurs centaines de mètres d'eux. Au col, un étrange bêlement retenti de façon presque continu. Ce bêlement est hybride entre celui d'un agneau et le miaulement d'un chat. Nous pensons immédiatement à un agneau oublié par le berger lors de la descente récente des troupeaux. Nous jumelons dans la direction d'où proviennent ces bêlements, mais en vain. Après de longues minutes de recherches, nous découvrons enfin 4 bouquetins de l'autre côté du torrent, en face de nous dans un secteur très pentu. Ce sont encore 2 femelles et leurs deux jeunes qui montent plus ou moins en suivant le lit sec d'un torrent. Le cheminement n'est pas rectiligne et ils doivent de temps çà autres exécuter de petits sauts. C'est ce qui semble perturber un des jeunes. Dès qu'il doit s'exécuter, il s'arrête et se met à bêler. Avec la distance, nous le voyons dans la lunette ouvrir la bouche, puis le son nous parvient seulement deux secondes plus tard. Ces cris de détresse ne semblent nullement impressionner les autres bouquetins qui continuent à gravir lentement le versant.

Le ciel se couvre, le vent se lève. Il commence à ne pas faire chaud. Plus bas, le cours d'eau semble être un torrent de lumière. Nous redescendons déjeuner près du premier groupe.

 

Les six bouquetins sont toujours là. A cette heure de la journée, tous sont couchés : tantôt sur de gros blocs, tantôt à même le sol dans l éboulis. Ils ruminent. Les nuages déjà dissipés, le soleil commence enfin à inonder de lumière et de chaleur ce versant. Ils nous observent autant que nous les observons. Une des femelles se lève et part brouter. Deux jeunes jouent ensemble. La décontraction des animaux est à son maximum : pattes pendantes devant le bloc, jeunes couchés tendrement contre leur mère.

 

Parfois le petit ressent le besoin de téter, et il se lève. Sa mère comprend et se lève à son tour afin qu'il puisse atteindre les mamelles. A genoux, la tête en arrière, le petit attrape une tétine. La tétée ne dure que quelques secondes, puis la mère recule et le repousse. Ils doivent être en période de sevrage à cette époque de l'année, et la production de lait doit commencer à diminuer sensiblement. Une bande corvidés (chocards et craves) volent au dessus de nos têtes et de celles de nos compagnons, et s'éloignent aussi vite qu'ils étaient arrivés.

Sans raison apparente, un femelle, la première levée poussent un cri, et immédiatement tout ce petit monde se lève, et partent rejoindre leur guide. Personne ne désobéit au chef. Il est l'heure pour le groupe de changer de versant, et de gagner une pente exposée sud, afin de profiter encore une paire d'heure de la chaleur bienfaisante du soleil. Mais n'exagérons rien, le pas du bouquetin reste toujours paisible, ponctué par de nombreuses pauses gastronomiques, et nombreux détours, pour profiter des spécialités locales.
La guide reste sur un promontoire et s'attaque aux jeunes rameaux feuillus d'un malheureux arbuste dont le sel tord était de pousser là.
Un des jeune tête encore une dernière fois avant de reprendre le chemin comme pour se donner un peu de courage. Les deux autres jeunes font route ensemble et suivent une femelle partie en tête. Sans doute la mère d'un des deux. Mais au moment de changer de versant, le dernier des petits semble pris d'un regret subit d'avoir abandonné sa mère, s'arrête et se met à bêler. Mais sans aucun effet sur cette dernière. Finalement Après être resté seul à hésiter quelques secondes en crête, il se décide à basculer sur l'autre versant avec son copain plutôt que de rester seul à attendre sa mère.

Durant notre descente, le reste des bouquetins changent de versants, et nous les observons une dernière fois tous les six. Tous broutent dans un alpage suspendu très pentu. Plus bas, 2 chamois entament une course poursuite à vive allure droit dans la pente. Celle-ci ne s'arrête que lorsque le poursuivit sort du territoire du poursuivant. Tous les deux campent alors sur leur position, et se couchent, tout en surveillant l'autre du coin de l'œil. L'époque du rut semble proche pour ces deux individus. Encore de beaux moments à découvrir dans les prochaines semaines. Dans la journée, observation donc de 13 bouquetins minimum, et peut-être 15 : 1 couple femelle/jeune, puis 3 couples femelle/jeune, incluant peut-être le premier couple (car pas retrouvé ensuite), un groupe de 3 grands mâles, et encore 2 couples femelle/jeune


Olivier Tourillon, Vallée de Champoléon (Champsaur - Hautes-Alpes), le 09 octobre 2004